[DOSSIER] Stephen King et les comics

[DOSSIER] Stephen King et les comics

C'est une légende vivante. L'évocation de son seul nom suffit pour donner des frissons à des millions de personnes. Car Stephen King connaît très bien vos peurs. Intimement. Si chacun sait qu'il est l'un des écrivains les plus lus, les plus primés et les plus adaptés au cinéma, bien rares sont ceux qui connaissent et ont lu tous les comics qu'il a inspirés.

 


Chantre de la littérature et de la culture populaires, Stephen King a, à plusieurs reprises, manifesté un intérêt pour les comics. Et les amateurs de BD américaines sont nombreux à le lire. Pourtant, jusqu'à une date récente, les rencontres entre le maître de l'horreur et le 9e art ont été très limitées.
 


 

C'est en 1981 la première fois que son nom apparaît sur un comic book. En effet, Bizarre Adventures (un magazine anthologique en grand format et en noir et blanc publié par Marvel) propose dans son 29e numéro l'adaptation de sa nouvelle The Lawnmower Man (parue en 1975 et rééditée en 1978 dans le recueil de nouvelles Night Shift) par Walter Simonson. Bien que le travail du dessinateur soit tout à fait respectable et que l'adaptation soit fidèle au texte original de l'écrivain, l'expérience sera sans suite. A notre connaissance, il n'existe aucune traduction en français ni réédition aux États-Unis de ces planches.

 


La deuxième incursion dans le monde des comics est plus significative. S'appuyant sur deux de ses nouvelles  (The Crate et Weeds, inédites en français), l'auteur écrit son premier scénario pour un film : Creepshow. Le film réalisé en 1982 par un spécialiste de l'épouvante, George A. Romero, est un hommage aux illustrés d'horreur édités dans les années 50 par EC Comics (Tales From the Crypt...). Mais ce n'est pas tant la source d'inspiration de ce film qui nous intéresse que le fait qu'il ait été adapté en comic book. Dessiné par le génial Berni Wrightson, il a été traduit chez Albin Michel en 1983 (et réédité en 1985) dans la collection Spécial USA. Devenu introuvable, il était particulièrement recherché par les fans jusqu'à sa réédition récente par les éditions Soleil. Comme dans les EC Comics, plusieurs histoires à l'humour macabre s'y succèdent, toutes présentées par un narrateur tout aussi monstrueux que les contes qui font son bonheur... et le nôtre.



 

Bien qu'il s'agisse du seul comic book qu'ils aient réalisé ensemble, les deux génies de l'épouvante ont également conjugué leurs efforts sur Cycle of the Werewolf. Au départ, Stephen King devait rédiger pour un calendrier un court texte accompagné d'une illustration de Berni Wrightson pour chacun des mois de l'année. Gêné par ce format contraignant, il décida de transformer le projet en un court roman illustré. Publié aux États-Unis en 1983, il fut adapté dans nos contrées en 1986, toujours par Albin Michel, sous le titre de L'Année du loup-garou. Par ailleurs, le dessinateur a également réalisé de magnifiques planches pour une édition limitée de The Stand (Le Fléau) et pour Wolves of the Calla, le cinquième volume de son cycle The Dark Tower (La Tour sombre).
 


 

Notons enfin la très courte collaboration des deux compères sur trois pages du comic book caricatif Heroes for Hope. Pour lutter contre la famine qui frappait l'Afrique en 1985, Berni Wrightson et Jim Starlin décidèrent de lever des fonds en commercialisant un numéro spécial des X-Men. Avec la bénédiction de Marvel, il firent appel à un aréopage de stars, de Stan Lee à George R. R. Martin, en passant par Alan Moore et Frank Miller. Malgré un casting exceptionnel, l'aventure n'accouchera pas d'une œuvre mémorable.



 


Après ces discrètes contributions, le nom de Stephen King ne fut plus pratiquement plus associé aux comics pendant deux décennies* . Puis, prenant tout le monde de court, Marvel annonça en grandes pompes un projet ambitieux, l'adaptation du plus volumineux travail de l'écrivain : The Dark Tower (La Tour sombre). En 2007 paraît ainsi la mini-série The Gunslinger Born personnellement supervisée par le maître. Les petits plats sont mis dans les grands pour que le comic book soit à la hauteur de l'événement. La délicate tâche de l'écriture est confiée au binôme Peter David et Robin Furth. Le premier est un scénariste de comics respecté qui a également écrit plusieurs romans inspirés de séries télévisées comme Star Trek. Il a donc le profil idéal pour transposer un roman en comic book. La seconde est l'assistante de Stephen King et une spécialiste de The Dark Tower est donc la plus à même de respecter l’œuvre initiale. Côté graphique, Marvel mise là aussi sur la qualité en confiant les rênes à l'excellent dessinateur Jae Lee et au talentueux coloriste français Richard Isanove. Bien que le comic book ne soit pas l'adaptation littérale et chronologique du roman, la qualité est incontestablement au rendez-vous avec le trait singulier et envoûtant de Jae Lee et avec de annexes plus que fournies. Une dizaine de mini-séries consacrées à The Dark Tower se succèdent jusqu'en 2013, soit l'équivalent d'environ 60 comics. Tout en reprenant de nombreux éléments de la saga-fleuve de Stephen King, elles présentent également du contenu inédit. Les 5 premières mini-séries furent publiées en France par Panini sous son label Fusion. Au lieu de reprendre le format américain, l'éditeur italien décida de proposer chaque arc en 2 ou 3 tomes au format européen. Récemment, Panini corrigea le tir en proposant une réédition de la première mini-série en un seul tome et au format comics.



 

Fort de son succès, Marvel récidive en s'attaquant dès 2008 à un autre roman conséquent de Stephen King : The Stand (Le Fléau), toujours sous sa supervision. Le récit est découpé en 6 mini-séries et 31 épisodes scénarisés par Roberto Aguirre-Sacasa et illustrés par l'impeccable Mike Perkins. Si l'adaptation est fidèle à l’œuvre initiale, on peut regretter que Delcourt, qui a obtenu les droits pour la France, ait choisi la même stratégie éditoriale que Panini.
 


 

Bien que les ventes des comics estampillés King n'aient pas été aussi impressionnantes que celles de ses romans, Marvel se décide à adapter un troisième et dernier récit de l'écrivain : N, une nouvelle parue dans le recueil de nouvelles Just After Sunset (Juste avant le crépuscule). Les auteurs (le scénariste Marc Guggenheim, le dessinateur Alex Maleev et le coloriste Jose Villarubia) avaient déjà transposé la nouvelle dans une vidéo graphique. Les 25 mini-épisodes d'une durée totale d'une demi-heure étaient destinés à la promotion du livre Just After Sunset. L'adaptation en comics par ces mêmes auteurs était donc un prolongement logique de ce projet. Ce titre a été traduit en France pa Glénat.
 


Alors qu'on n'y croyait plus, c'est par un biais inattendu que le gourou de l'épouvante s'est décidé à écrire directement pour les comics. Le scénariste Scott Snyder souhaitait lancer une série retraçant le destin de vampires à travers l'Histoire des États-Unis. Hostile à la vision romantique des buveurs de sang, il voulait revenir à leurs sources en les décrivant comme des monstres « sanguinaires ». Stephen King a adoré son concept et s'est proposé de co-écrire le scénario des premiers épisodes de la série. Le comic book, dessiné par Rafael Albuquerque, s'avère être un vrai succès artistique et reçoit l'Eisner Award (les Eisner Awards correspondent aux Oscars des comics) et le Harvey Award de la meilleure nouvelle série en 2011. Bien que sa patte soit moins marquée que sur ses autres œuvres, on regrettera qu'il n'ait pas écrit d'autres comics étant donné la qualité de son unique essai.


 


Malgré ces différents projets, la contribution la plus marquante de Stephen King à l'industrie des comics pourrait bien être d'avoir été le père de Joe Hill , écrivain et génial scénariste de bandes dessinées. On lui doit notamment Locke & Key, une série d'horreur unanimement saluée par la critique (6 tomes dont 5 tomes traduits en français par Milady Graphics à ce jour) et The Cape, un one-shot qui aborde la thématique des super-héros (toujours chez Milady Graphics).

Enfin, pour boucler la boucle, le récit Throttle (Plein gaz), écrit par le père et le fils King en hommage à la nouvelle de Richard Matheson Duel, a été adaptée en un très sympathique comic book par Chris Ryall et Nelson Daniel chez IDW. L'ouvrage a été traduit en France par Panini sous son label Fusion.
 


 

* une de ses nouvelles, Popsy, fut adaptée par Mark Valadez et Matt Thompson dans le recueil Masque II : An anthology of elegant evil. Ce volume ne rencontra pas le succès espéré et ne fut, à notre connaissance, jamais traduit ni réédité.

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